être milieu
Isabelle et Milena ont pris du temps, la veille, sur la très longue étape, pour préparer cette journée du vendredi.
Elles ont ainsi échappé à l’épuisement et pris un temps, sur une terrasse de café au dessus de l’eau, en se donnant trois priorités :
- prendre soin de la fatigue accumulée par le groupe,
- proposer des avancées suffisamment rapides pour cette étape plus courte, pour qu’on puisse arriver plus tôt et profiter de vrais temps de récupération
- rassembler le groupe vers une attitude double d’écoute et d’attention au paysage présent, et aux proches absents.
La mise en route se fait avec retard : tout le monde est fatigué et l’organisation pour aller du gite au point de départ prend du temps - le gite est loin.
Quand tout le monde est, là, y compris Jean et Jeanne, qui sont venus nous rejoindre pour la journée, on commence sur l’herbe au bord du port, par une petite mise en route et préparation.
On se chauffe l’écoute et l’attention plus que corps et muscles.
Des enfants entraînés par leurs moniteurs sautent dans l’eau avec enthousiasme.
Isabelle raconte l’histoire de Donna Haraway, qui parle du mélange des « espèces » canine et humaine, en rappelant que les deux espèces, dans cette histoire, se sont créées mutuellement : les humains ne seraient pas les humains sans les chiens, et les chiens ne seraient pas chiens sans les humains. Mélange des espèces, des cellules (Haraway parle de cela dans plusieurs textes, mais particulièrement dans Le manifeste des espèces compagnes, Flammarion, 2018).
Que serait notre présence dans le paysage si on abolissait la hiérarchie entre nous et les autres vivants ?
Faire la différence entre paysage (construction humaine pour le sujet observateur, comme un tableau), et le milieu (différent d’environnement), où il s’agit « au contraire » de considérer l’enchevêtrement de soi et du milieu.
Être milieu des milieux, considérer qu’on fait partie du milieu comme le milieu fait partie de nous. Penser la suite de l’itinérance à partir de ces différences.
En même temps, Milena propose de danser à la même vitesse que les nuages, de s’allonger au sol, de sentir que les organes se déposent et font un signe de l’autre côté de la terre.
Un chien passe, le groupe rechigne (ça sent la crotte de chien),
Isabelle reparle des espèces compagnes et des hiérarchies humaines (y compris pour les odeurs). Elle propose de s’interroger sur ce que le milieu ressent de nos actions et de nos passages.
Quelles empreintes le milieu reçoit-t’il de nous? Sont-t’elles durables passagères ?
On finit en faisant 2 choses :
- effacer les traces humaines (ramasser les déchets) sur notre terrain de jeu
- aller sur les pontons proches, sentir la mobilité du milieu qui nous meut.
Puis viennent les orientations proposées pour la matinée : marcher groupés, dans une marche rapide et silencieuse, en imaginant ce que ressent le milieu de notre passage.
Lorsqu’on croise un bateau, ou un vélo, étirer le groupe, suspendre le rythme de l’avancée et construire une forme dans le paysage pour donner quelque chose à voir.
Très peu de passage de bateaux, peu d’expérimentations de cette proposition.
Il fait froid, il y a beaucoup de vent, difficile de partager.
Jean Marie, invité à participer d’abord avant de choisir comment intervenir, commence discrètement à faire sonner des éléments : quelques petits instruments amenés avec lui, et des éléments du parcours. Il fait un beau concert collectif sur une cabane abandonnée...
Déjeuner : Il fait froid et venteux, on réduit les ambitions : pas de PEP (sieste « pour en profiter), pas d’écoute musicale de Jean Marie.
Après midi : début du projet des correspondances. Il s’agit d’adresser un partage de notre voyage à quelqu’un qui ne peut pas être là.
On se met en binôme, et chacun.e présente à l’autre une personne qui ne peut pas être avec nous, et avec il ou elle aimerait partager quelque chose de notre aventure. L’autre écoute, puis durant le chemin, imagine, invente une pratique qui pourrait être adressée à cette personne inconnue dont elle a reçu le portrait.
On aurait voulu faire cette pratique dans la réalité, mais le vent et le froid s’y opposent. Le groupe s’effiloche sur la route, son attention tournée vers ce programme.
On arrive tôt, bien plus tôt que prévu, et on travaille à réaliser ces pratiques, lettres, correspondances, etc.
Un couple de cyclistes passant se joint à notre pratique de récupération. Juste cela.
Le monsieur, “Voun”nous dit qu’avec notre rencontre, il a rechargé son quota nécessaire d’humanité.
On goûte le soleil revenu dans l’herbe et on s’éparpille.
Laurie nous rejoint et nous nous rassemblons pour cette 1ère soirée avec elle.